Nils Muižnieks
Des médias de service public solides et bénéficiant d’un financement suffisant sont un bon indicateur d’une saine démocratie : telle est la conclusion d’une étude publiée l’an dernier par l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER). Le rapport montre notamment que, dans les pays où les radiodiffuseurs de service public sont appréciés de la population et dotés des ressources nécessaires, l’extrémisme de droite et la corruption sont moins développés et la liberté de la presse se porte mieux.
Toutefois, la situation sur le terrain est préoccupante : si l’on analyse les alertes soumises, depuis son lancement en 2015, à la Plateforme du Conseil de l'Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, l’on constate l’émergence d’une tendance caractérisée par des menaces pesant sur l’indépendance des radiodiffuseurs publics et de leurs organes de régulation. Un nombre croissant d’alertes concernent des ingérences politiques dans la ligne éditoriale de radiodiffuseurs publics, une protection législative insuffisante contre les influences politiques ou l’absence des ressources budgétaires nécessaires pour garantir l’indépendance des radiodiffuseurs publics.
L’indépendance est essentielle
Parmi les problèmes que j’ai constatés lors de plusieurs de mes visites dans les États membres figurent les mesures gouvernementales visant à influer sur l’indépendance et le pluralisme de la radiodiffusion de service public. L’an dernier, en Croatie, j’ai exprimé des inquiétudes au sujet des changements de personnel nombreux et précipités dans les médias de service public ainsi qu’au sujet d’allégations de censure. L’attitude du gouvernement alors en place, qui a demandé que soit mis fin au mandat de l’autorité de régulation de la radiodiffusion et au mandat de ses membres, faisait aussi craindre l’exercice de pressions politiques sur cet organe.
En Pologne a eu lieu en 2016 une réforme des médias de service public, qui a placé la radio et la télévision publiques sous le contrôle direct du gouvernement et restreint le rôle constitutionnel de l’organe de régulation des médias existant. J’avais attiré l’attention des autorités polonaises sur le manque de protection de l’indépendance des médias de service public contre les influences politiques, notamment quant à la composition du Conseil national des Médias, nouvelle instance de régulation créée en parallèle, et quant au mécanisme de sélection de ses membres. Cette réforme a déjà eu des effets négatifs sur la liberté des médias, en particulier sur les journalistes eux-mêmes. Une liste établie par la Société des journalistes, une association indépendante, montre que, depuis le début de 2016, 228 journalistes de la radio et de la télévision publiques ont été licenciés, rétrogradés ou affectés à un autre poste, ou ont démissionné en signe de protestation.
En outre, plusieurs alertes enregistrées par la Plateforme du Conseil de l’Europe mettent en évidence un certain nombre de questions concernant la législation et les pratiques appliquées aux organes de régulation et à la direction des radiodiffuseurs publics, pour ce qui est de leur composition et de la nomination et de la révocation de leurs membres. Parmi les cas répertoriés figurent, par exemple, des nominations politiques à la tête de chaînes de télévision publiques en Espagne ou des pressions exercées par un parti politique pour le remplacement d’un membre du conseil de surveillance du diffuseur public en Ukraine.